A la suite du discours de Patrice Talon sur l’état de la Nation en 2024, l’ancien garde des sceaux, ministre de la Justice Valentin Agossou Djènontin, comme à ses habitudes livre son analyse de ce discours qui a déchaîné les passions et de vives indignations au sein de la population et de la classe politique. Lisez cet acte 1 d’une série de plusieurs épisodes.
ANALYSE DU DISCOURS DU CHEF DE L’ETAT SUR L’ETAT DE LA NATION 2024.
Vendredi 20 décembre 2024 devant les députés au Palais des Gouverneurs à Porto-Novo, le Chef de l’Etat du Bénin, Patrice Talon a prononcé son discours sur l’état de la Nation. Avant d’émettre mon opinion sur le contenu du discours du Chef de l’Etat, je voudrais apprécier sa posture et son état d’âme. D’abord, J’ai vu à la tribune un président moralement et psychologiquement diminué, anxieux, agressif, ébranlé, fragilisé, apeuré, fébrile, vulnérable et très prétentieux. Ensuite, j’ai été scandalisé par les dernières phrases du discours du chef. Elles sont empreintes de suffisance, d’arrogance, d’orgueil, de mépris, de menaces, d’intimidations vis-à-vis du peuple souverain, seul détenteur du pouvoir politique. J’ai vu un président qui, au lieu d’édifier la Nation par son discours, l’a plutôt défiée. J’ai vu un Président mythomane et amnésique. C’est malheureux et affligeant. Enfin le ton du discours qui est hautain, indécent et irrespectueux. Quant au contenu du discours, quelques passages ont retenu mon attention et je souhaite les partager avec vous. Cela prendra beaucoup de temps ; raison pour laquelle je ferai ma présentation en plusieurs séquences.
PREMIERE PARTIE : TEMPLE DE CONTRADICTION ET FOYERS DE TENSION.
- « Je me fais le devoir et le plaisir de venir ici, dans le temple de la contradiction politique ». Un temple est un sanctuaire. Je supplie le chef d’éviter prochainement cette profanation lexicale. Entendre le président Talon qualifier le parlement de temple de contradiction politique, c’est abuser du peuple. C’est à la limite une injure d’abord pour les députés assis en face de lui, et ensuite une gifle au peuple béninois. Le profil psychologique de Monsieur Patrice Talon n’a jamais admis la contradiction. Dans le domaine politique, il déteste la contradiction plus que la peste et le choléra. • En avril 2017, le Président Patrice Talon a exigé des députés de la 7ème législature de voter le projet de révision de la Constitution sans débat à l’Assemblée nationale ; un texte dont nous n’avons même pas reçu copie. Lorsqu’il avait reçu mon groupe parlementaire avec messieurs Olivier Boko et Joseph Djogbénou dans l’une des villas présidentielles construites par le président Yayi Boni, il nous a dit : « si vous avez des préoccupations sur le texte, c’est le lieu de les exprimer. A l’Assemblée, il n’y aura pas de débat sur le texte ». Maître DJOGBENOU fait la lecture d’une portion du texte. Patrice Talon et Olivier Boko font les commentaires, puis on nous donne la parole. La suite, ce projet a été soumis à l’Assemblée nationale en procédure d’urgence lors d’une session extraordinaire convoquée à cet effet. Heureusement que le parlement a rejeté ce funeste projet de révision. • Devant le même parlement, le président Patrice Talon a clamé haut et fort que son souhait est que les lois soient votées sans débat. • Pour assouvir ses ambitions de parlement muet sans contradiction, il a inventé avec maître Joseph Djogbénou le certificat de conformité pour exclure tous les partis politiques d’opposition des élections législatives de 2019. • Le bannissement de la contradiction politique à l’Assemblée nationale a conduit le président Patrice Talon a procédé à la nomination des députés de la 8ème législature composé uniquement des militants de ses deux partis politiques UP et BR après un carnage du Sud au Nord en faisant tirer à balles réelles sur les citoyens béninois. Ce sont ces députés qui ont voté toutes les lois cyniques dont ils vont demander plus tard des explications à la Cena par exemple. C’est également ce parlement de sang sans opposants qui a révisé nuitamment la Constitution que le peuple s’est librement donné par référendum en 1990 à la suite de la Conférence nationale des forces vives, sans oublier la série des codes électoraux d’exclusion. • L’hostilité du président Patrice Talon à la contradiction est la cause de l’élection présidentielle d’exclusion de 2021 où le Président en exercice a kidnappé sur les ponts de Porto-Novo et de Godomey les candidats de l’opposition (MADOUGOU et AÏVO) qui ont été jetés en prison avant d’être condamnés plus tard à 20 et 10 ans de prison fermes après que le chef se soit imposé président de la République pour un nouveau mandat de cinq (5) ans après la rallonge illégale de 45 jours de pouvoir exécutif. • L’opposition à la contradiction politique justifie l’exfiltration de la liste du parti LD de quelques candidats sérieux aux élections législatives de 2023. • L’opposition à la contradiction politique est la seule raison qui justifie le code électoral du 15 mars 2024 et surtout l’absence des membres de l’opposition dans toutes les institutions de la République qui sont vassalisées et sous influence du seul chef de l’Etat. • L’opposition à la contradiction politique est le seul motif de l’instrumentalisation de la Justice et de la Police. • L’opposition à la contradiction politique est la seule raison d’imposition des maires, des chefs d’arrondissement, des chefs de villages et de quartiers de villes qui ne sont plus élus par le peuple mais désignés par quelques individus dans les partis politiques du chef, foulant ainsi aux pieds les lois sur la décentralisation. • Etc. Je supplie le président Patrice Talon de ne plus tenir un tel discours qui ne vise qu’à projeter dans l’opinion internationale ce qu’il n’est pas et ne représente pas. 2. « Alors que le monde s’enfonce globalement dans un cycle d’incertitude et d’instabilité, que les foyers de tensions se multiplient ici et là, …… le Bénin continue sans tapage, d’avancer sur le chemin de son développement et de la consolidation de son unité ». • En 2019 et en 2021, le monde entier a vécu sur les chaînes internationales de télévision et dans les réseaux sociaux les atrocités subies par la paisible population du Bénin à cause de la mythomanie, de l’aveuglement et de la soif de pouvoir personnel d’un seul individu qui a horreur de la quiétude et de la paix dans son pays. La scène de cette femme fusillée dans le dos, de ce Zémidjan traversé par une balle criant sauvez-moi, de ce jeune homme dont la main a été broyée, tous à Cadjèhoun, de cette dame dont la tête a explosé à la suite d’une balle à Bantè alors qu’elle était retranchée dans sa case, de ces jeunes mutilés, continue de traverser l’esprit de tous les Béninois. Les âmes des hommes et femmes tués à Cotonou, à Parakou, à Savè, à Tchaourou, à Kilibo, à Bantè continuent de hanter l’esprit des chefs militaires qui ont conduit ces opérations sur instructions du pouvoir exécutif. Les parents, enfants, épouses et maris de ces nombreux défunts civils comme militaires continuent de pleurer et de regretter leurs proches. Nombreux sont-ils à être tourmentés par la faim, la maladie, le dénuement, la déscolarisation pendant que leurs assassins sont assis à des postes de responsabilité avec le sang sur les doigts. • Patrice Talon qui a le courage de proclamer devant la Conférence Episcopale du Bénin qu’il « va compromettre la paix pour les temps à venir » peut-il s’étonner de la multiplication des foyers de tension ici et là ? Je me garde de dire que cela relève de l’hypocrisie. • Un président qui a initié et promulgué la Loi N° 2024-13 du 15 mars 2024 portant code électoral, contesté par toutes les forces politiques, sociales et religieuse du Pays en raison de son caractère notoirement dangereux pour les élections générales de 2026 ; un code qui a bouché tous les orifices de respiration de la démocratie et empêcher toute concurrence électorale, est-il fondé à s’étonner de la menace sur la paix dans le monde alors que lui-même porte entre les mains un brasier ? • Un président qui affirme en public que « le pouvoir ne retournera plus jamais au Nord » est-il bien indiqué pour parler de l’unité nationale devant la Représentation nationale ? Je me garde de multiplier les exemples de peur de heurter les sensibilités ou de provoquer la colère de certains citoyens. Monsieur le Président, travaillez à être plus vous-même que de faire du théâtre.
DJENONTIN-AGOSSOU Valentin Ancien Ministre, Député élu, 7ème législature.