Le 10 avril dernier, autour d’une conférence qu’il a animée au Chant d’oiseau de Cotonou, Me Joseph Djogbénou a, pour la première fois depuis 2017, tenté de justifier son concept de gouvernance par « la ruse et la rage » évoqué après le rejet du premier projet de la révision de la Constitution. C’est donc en réponse au rejet de ce projet que la ruse et la rage sont devenues le mode de gouvernance de la rupture avec comme bras opérationnel Joseph Djogbénou que l’on retrouve dans plusieurs actes de cette gouvernance par la ruse et la rage.
En acte1, il fallait empêcher les opposants au régime de la rupture d’aller aux élections législatives en 2019. Pour y arriver, Joseph Djogbénou, alors président de la Cour constitutionnelle, va faire appel à son génie en inventant le certificat de conformité qui ne figurait dans aucun texte législatif au Bénin. Ainsi, le défaut de cette pièce que devrait délivrer le ministère de l’intérieur est éliminatoire. Tous les partis de l’opposition sont écartés et seuls les deux partis siamois de la mouvance ont obtenu le quitus d’aller aux élections se partageant les 83 sièges disponibles. La première conséquence de cette décision inique et cynique, ce sont les tueries du 1er et 2 mai à Cadjèhoun à quelques encablures de la résidence de l’ancien président de la République Boni Yayi. La police aidée par l’armée a ouvert le feu sur les populations qui manifestaient et réclamaient leur droit de vote. Pour la première dans l’histoire de la démocratie issue de l’historique conférence des Forces vives de la nation, le Bénin va enregistrer des morts du fait des élections. Alors que les élections au Bénin constituaient de grands moments de fête depuis 1991, la décision signée de Djogbénou, sous le coup de la ruse et de la rage mettra fin à cette ambiance de fête en période électorale. Comme deuxième conséquence de cette décision, un Parlement monocolre pendant 4 ans, un mandat au cours duquel les lois sont votées les yeux fermés.
Acte 2, le Parlement monocolore a nuitamment voté la loi portant révision de la Constitution du 11 décembre 1990. Le lendemain avant 9 heures, Joseph Djogbénou déclare cette loi conforme à la Constitution et promulguée par le chef de l’Etat avant la fin de la matinée.
En clair, en moins de 12 heures de temps, la Constitution du Bénin a été révisée par l’Assemblée nationale, déclarée conforme par la Cour constitutionnelle et promulguée par le chef de l’Etat sans débat, sans que les Béninois aient la moindre idée de ce qui est mis dans leur loi fondamentale. C’est la conséquence du certificat de conformité inventé par la gouvernance de ruse et de rage.
Acte 3 en 2021, la candidature de la présidentielle de Joël Aïvo et de celle de Réckya Madougou ont été invalidées, et les deux jetés en prison. Il va sans dire que c’est le certificat de conformité inventé par Djogbénou en 2019 qui continue de faire des dégâts sapant ainsi la plinthe de la démocratie béninoise.
Quel que soit le contexte politique du Bénin aujourd’hui, Joseph Djogbénou, porte l’entièreté des morts de Cadjèhoun en 2019, et ceux de Bantè, Savè et Tchaourou en 2020 et 2021. Il est à la base des centaines de prisonniers et des exilés après les manifestations contre l’exclusion.
Voilà le contexte et ses conséquences. La grande rhétorique de Djogbénou ne pourra aujourd’hui convaincre une seule mouche au Bénin sauf des partisans sans contenu, des déserts de compétences comme Patrice Talon les nomme.
Au cours de cette sortie médiatique, Joseph Djogbénou, potentiel dauphin de Patrice Talon dira encore que « gouverner c’est exclure ». Et c’est bien à l’exclusion que les Béninois assistent impuissants depuis 2016. Les opposants sont exclus des élections, les travailleurs sont exclus de leur droit de grève, les paysans sont exclus du bien-être et de la jouissance des fruits de leur dur labeur, et la liste est encore longue. Il faut rappeler que Djogbénou avait déjà dans un passé récent attribué la cherté du maïs aux poulets du fait que le Bénin a retrouvé le chemin de l’élevage. Donc si le maïs coûte cher au Bénin, c’est parce que les poulets mangent beaucoup. Pathétique.
A mesure qu’on s’approche de 2026, cet intellectuel qui a fait rêver certains béninois par sa rhétorique entre 2012 et 2016, multiplie ses maladresses, se laisse dévisager et sans doute s’éloigne du pouvoir. Sinon comment comprendre qu’un potentiel candidat à la magistrature suprême vienne dire que « gouverner c’est exclure » ? Sans doute, avant 2026, il reviendra justifier le contexte dans lequel il a dit cela. Pour l’heure, il doit savoir que les Béninois n’ont pas encore fini le deuil des dizaines de morts, pour qu’il soit le candidat à qui ils vont accorder leur suffrage en avril 2026.
Abdoul Dramane