PARTIE 2 : 2016 à nos jours : la descente aux enfers. Dans la première partie de cette chronique, nous avions montré comment La Conférence des Forces Vives de la Nation, ce grand rendez-vous de l’histoire béninoise, fut un moment de grâce, une parenthèse enchantée où le peuple, dans sa diversité, se réappropria son destin. Nous avons vu comment un pays à genoux s’est relevé de façon spectaculaire grâce à la force conjuguée de ses enfants. Elle fut le creuset d’une démocratie naissante, d’une souveraineté retrouvée, d’une liberté chèrement conquise. Un héritage chéri et précieusement préservé par les régimes successifs jusqu’en 2016. Aujourd’hui, 35 ans plus tard, le bilan de l’héritage de la conférence nationale est plus que piteux et pour cause, depuis 2016, un nouveau chapitre s’ouvrit avec l’avènement au pouvoir du « régime de la rupture ». Un régime qui se présentait comme le fossoyeur des vieux démons et le bâtisseur d’un Bénin nouveau, un « Bénin révélé », un Bénin avec plus de démocratie et de libertés publiques ; et nous y avions tous fait foi, tellement leur discours était beau. Mais à l’épreuve de l’exercice du pouvoir, force est de constater que cette rupture n’a été qu’un détournement, une trahison, une grosse « arnaque » car tout ce à quoi les Béninois ont eu droit, c’est plutôt un démantèlement méthodique, pièce par pièce de l’héritage sacré de 1990.
I- La souveraineté confisquée : le peuple dépossédé La Conférence de 1990 avait rendu au peuple béninois sa souveraineté, cette flamme sacrée qui brûle dans le cœur de toute nation libre. Mais le régime de la rupture, sous couvert de modernité et d’efficacité, a méthodiquement confisqué cette souveraineté. Toutes les réformes politiques opérées dans le pays n’ont eu pour finalité que d’empêcher le peuple d’être l’unique décideur en matière de choix et désignation des différents responsables à travers des processus électoraux viciés et verrouillés ; des processus électoraux qui ne laissent aucune chance à l’opposition. À travers des manœuvres qui relèvent purement de la prestidigitation, Les élections organisées depuis 2019 furent marquées par des exclusions sans précédent : des candidats écartés, des voix étouffées, une opposition muselée. Le peuple, ce souverain primaire, fut réduit au silence, spectateur impuissant d’un jeu de dupes où le pouvoir se renouvelle par lui-même, loin de toute légitimité populaire. Du fameux certificat de conformité au code électoral cadenassé, en passant par le système de parrainage ultra contrôlé ou le quitus fiscal bien orienté, tous les ingrédients ont été mis au point pour que celui qui désigne les autorités politiques du pays ne soit nullement le peuple. Ainsi, la souveraineté du peuple, arrachée en 1990, a été confisquée encore à partir de 2016.
II- La liberté d’expression muselée : la parole enchaînée La Conférence nationale avait fait du Bénin un phare incontesté de la liberté en Afrique. La liberté d’expression, cette conquête précieuse, était devenue l’âme de la nation. Mais sous le régime de la rupture, cette liberté a été soigneusement anéantie. Les médias, autrefois vigies de la démocratie, sont aujourd’hui sous le joug le plus impitoyable. Les journalistes critiques sont harcelés, emprisonnés, réduits au silence. Les organes de presse indépendants sont asphyxiés par des mesures administratives très restrictives, tandis que les médias publics sont transformés en porte-voix du pouvoir. Depuis 2016, combien d’organes de presse ont fait les frais de cette volonté tenace de l’exécutif béninois de contrôler les opinions et les pensées de la masse ? Les réseaux sociaux, espaces de liberté et de débat, sont surveillés, censurés, voire fermés à la moindre critique. Et pour ça, « les seigneurs » ont eu l’ingénieuse idée d’instaurer une législation aux allures martiales qu’ils ont appelée « code du numérique ». La liberté d’expression, autrefois pilier de la démocratie béninoise, est devenue un mirage, un souvenir lointain d’un temps où le peuple pouvait encore s’exprimer sans crainte.
III- Des élections exclusives et ensanglantées : la démocratie trahie La Conférence de 1990 avait fait du Bénin un modèle démocratique en Afrique et dans le monde. Les élections, libres, inclusives et transparentes, étaient le couronnement de cette démocratie naissante. Mais avec l’avènement des nouveaux maîtres en 2016, le Bénin a véritablement été révélé au monde par des élections devenues juste des simulacres, des mises en scène pitoyables où le peuple n’a plus son mot à dire. Nous avons tous garder en mémoire ces propos de Monseigneur Isidore de SOUZA, prononcés pendant la Conférence des Forces Vives et qui dit « Qu’aucun bain de sang, qu’aucun bain de sang ne nous éclabousse et ne nous emporte dans ses flots », cette phrase prononcée comme un vœu sacré pour le peuple, a été profaner sans ménagement et sans moindre regret. Les scrutins de 2019, 2020 et 2021 ont été marqués par des exclusions massives, des fraudes flagrantes et surtout des violences meurtrières. Pour la première fois en 30 ans de parcours démocratique, le sang des Béninois a coulé pour des raisons électorales. Le sang a coulé lors des manifestations de protestation à Cadjèhoun, Savè, Tchaourou, Bantè, Parakou etc où les forces de l’ordre ont tiré à balles réelles sur des citoyens désarmés, et le pouvoir a répondu par le mépris et la répression. Ce scénario macabre, inimaginable au Bénin depuis 1990 est devenu un fait réel avec les chantres du « Bénin révélé ». Les élections, autrefois moments de fierté et de fraternité nationales, sont devenues des champs de bataille où la démocratie est tuée à grand feu.
IV- La main mise sur les institutions : l’équilibre rompu La Conférence de 1990 avait établi un équilibre délicat et intelligent entre les pouvoirs, garantissant l’indépendance des institutions et la séparation des pouvoirs. Mais sous le régime de la rupture, cet équilibre a été rompu. Le pouvoir exécutif a étendu son emprise sur toutes les institutions, réduisant le législatif et le judiciaire à des caisses de résonnance. L’Assemblée nationale, autrefois lieu de débat et de controverse, est devenue une simple chambre d’acquiescement systématique. Les députés, jadis représentants du peuple, sont désormais de vulgaires relais du pouvoir. Avec l’adoption de lois ciblées et très personnelles, nous sommes réduits à vivre aujourd’hui dans un État de lois, au lieu d’un État de droit. La justice, pilier de l’État de droit, est désormais la chasse gardée exclusive du monarque, utilisée pour réprimer les opposants et protéger les puissants. La HAAC, transformée en « hache » dans les mains des « rupturiens » est réduite à la sale besogne de cisaillement de tous les organes qui ne s’alignent pas sur la ligne tracée par les gouvernants, bien loin de son rôle originel de protectrice des médias contre l’arbitraire, comme voulu par la Conférence. Les institutions, garantes de la démocratie, sont ainsi devenues des outils de domination et de contrôle.
V- La cohésion sociale démolie : la nation divisée La Conférence de 1990 avait réuni les Béninois autour d’un projet commun, d’un rêve partagé. Mais sous le régime de la rupture, ce rêve s’est effrité. La cohésion sociale, ce ciment de la nation, a été dangereusement sapée. Les discours d’intolérance, l’instrumentalisation, les campagnes de stigmatisation, les politiques discriminatoires ont creusé des fossés entre les différentes communautés. Le Bénin, autrefois modèle de tolérance et de vivre-ensemble, est devenu un champ de méfiance, de suspicions, de fractures. La nation, jadis unie, est aujourd’hui divisée, déchirée par les calculs politiques et les ambitions nombrilistes et hautement égoïstes. Au nombre des actes de démolition des acquis de la Conférence des Forces Vives de la Nation, nous ne pouvons occulter la destruction programmée de certains grands symboles de ces assises nationales historiques. Il y a par exemple l’hôtel PLM ALEDJO, lieu hautement symbolique où la conférence a eu lieu, qui a été rasé pour des motivations jusqu’ici inconnues. Et aussi la mémoire du Général Mathieu KEREKOU, figure emblématique de la conférence qui a été littéralement souillée avec la démolition de sa résidence pour planter en lieu et place, de vulgaires fleurs. En gros, le régime de la rupture a trahi l’héritage de la Conférence des forces vives de la nation. Il a démantelé, pièce par pièce, les acquis de 1990, transformant une démocratie florissante en un régime autoritaire. La souveraineté du peuple, la liberté d’expression, les élections libres, l’indépendance des institutions, la cohésion sociale : tout a été sacrifié sur l’autel du pouvoir. Mais l’histoire est un cycle, et les peuples ont la mémoire longue. Le Bénin, terre de résistance et de courage, saura un jour se réapproprier son destin. Car l’héritage de 1990, bien que trahi, n’est pas perdu. Il vit dans le cœur de ceux qui croient encore en la liberté, en la justice, en la dignité. Et tant qu’il y aura des femmes et des hommes pour se lever, pour résister, pour espérer, l’héritage de la Conférence nationale ne mourra jamais. Le Bénin mérite mieux. Le Bénin mérite de retrouver sa lumière.
Dr Adam SOUNON KONDE* Secrétaire à l’Éducation
et à la Recherche Scientifique du Parti Les Démocrates