Le président du mouvement Alliance conclave jeunesse (Acj), Thibaut Ogou à peine sorti de la prison a renoué avec ses activités politiques. Dans cette interview accordée à Djarobi et Nouvelles Mutations, l’homme parle à cœur ouvert de son combat politique, de son séjour carcéral, de l’opposition et du président Patrice Talon. Lissez donc.
Djarobi: Quels sont les circonstances dans lesquelles la police républicaine vous a interpellé? Est-ce que vous avez reçu une convocation ou vous avez été pris manu-militari?
Thibaut Ogou: Merci beaucoup pour l’honneur que vous me faites par cette interview. Vous me demandez les conditions dans lesquelles la Police républicaine m’a interpellé. Si j’ai reçu une convocation ou manu militari. Depuis 2019, c’est ma deuxième arrestation et il n’y a jamais eu de convocation. Nous avons été près de trois cents (300) à être arrêtés. Personne n’a reçu de convocation. Sur mon Pv nous étions une trentaine et c’est des gens que je ne connais pas. Alors que quand vous êtes sur le même Pv, cela suppose que vous êtes restés ensemble pour commettre le délit qu’on vous reproche. Or c’est des gens que je ne connais ni d’Adam ni d’Eve. Je vous donne un exemple, le fils de l’ancien député. Elie Djenontin, c’est quelqu’un que je ne connaissais pas, que j’ai jamais rencontré quelque part. Et on nous met sur le même Pv. C’est leur mode de procédure depuis 2016. On ne t’envoie aucune convocation, c’est la police qui donne un coup de pieds à ta porte et tu les retrouves dans ta chambre. Et avec la force et la brutalité on t’arrête. J’ai été arrêté avec la brutalité toutes les deux fois. La deuxième fois j’ai été arrêté au stade de l’Amitié parce que j’étais allé rencontrer un ami avec qui j’ai un programme. Le stade n’est pas un lieu pour organiser une manifestation. Mais comme je suis opposant et je ne suis pas pour la gestion du régime en place, donc je suis un ennemi. Je suis devenu un terroriste pour lequel il faut m’arrêter à tout moment. J’étais là quand j’ai vu devant moi deux voitures blindées garées et chargées de policiers. Et c’est ainsi qu’ils se sont jetés sur moi. On s’était un peu battu, c’est normal je suis un homme. Ils étaient nombreux. Ils m’ont affaibli et c’est dans ces conditions que j’ai été pris. Donc il n’a pas eu de convocation, à ce que je sache pour les trois cents personnes.
D: Vous venez de purger une peine carcérale de 38 mois, dites nous ce qui vous est reproché?
T. O: J’ai pas été arrêté et déposé en prison pour atteinte au droit électoral. Sur mon mandat de dépôt, c’était appartenance à organisation terroriste. Maintenant, c’est trois ans après, lorsqu’ils on a enlevé mon dossier du cabinet, au moment de me juger, qu’ils ont requalifié les faits en atteinte au droit électoral. Eux mêmes ne savent pas pourquoi ils m’ont arrêté. Vous imaginez, vous arrêtez quelqu’un pour vol et après vous venez dire que c’est pour meurtre. Vous voyez donc qu’il n’a pas une logique, une cohérence dans ce qu’ils font. Vous parlez des preuves avancées par la Défense pour m’incriminer. Est-ce qu’il y a de preuves, d’abord il faut qu’ils apportent la preuve que j’ai fait ce qu’ils sont entrain de me reprocher. D’abord ils ne savent pas pourquoi ils m’ont gardé. Donc il n’y a pas de preuves. Tous les béninois savent que nous sommes innocents. Tout le monde entier sait que nous sommes innocents. Tout le monde entier sait qu’au Bénin il y a des détenus politiques. Et un détenu politique est quelqu’un qui a été arrêté pour ses convictions politiques ou par rapport à sa position politique. On n’a pas besoin d’avocat. C’est le moment pour moi de remercier ces avocats qui ont beaucoup travaillé pour moi. Maître Baparapé, Maître Gbago et tout le collège d’avocats ayant pris ma défense. Il y a encore beaucoup de détenus politiques qu’on accuse sans preuve. Donc ce n’est pas une question de preuve. Le seul argument à avancer c’est libérez Thibaut Ogou. Et c’est le seul argument que le peuple béninois avançait.
D: C’est la énième fois vous séjournez en prison entre 2019 et 2024 et pour les mêmes causes. Pourquoi toujours vous?
T. O: (Rigole). Pourquoi toujours moi? Ça me rappelle la phrase d’un joueur italien qui a écrit sous son maillot en anglais: « Pourquoi toujours moi ? » Et le montre chaque fois qu’il marque un but. Moi même je ne le sais pas. La question est à poser au destin et au pouvoir en place. Et c’est peut être parce que je livre le vrai combat, ou parce que je n’accepte jamais être vendu ou vendre. Seuls ceux qui m’arrêtent sont les mieux placés pour répondre à cette question. Et c’est bizarre je ne me suis jamais posé cette question. Je suis pratiquement le seul dans le cas. Je me rappelle après mon arrestation, le président de la République m’avait indexé lorsqu’il était allé visiter les militaires blessés lors de la crise. Il disait que certains ont été arrêtés en 2019 et qu’ils sont encore arrêtés pour les mêmes causes et qu’il ne va pas pardonner ça. Je ne sais pas hein. Sinon nous revendiquons toujours la même chose: la démocratie, la liberté d’expression. Nous ne voulons que l’Etat tel qu’il a permis au président Talon de gagner le pouvoir en 2016.
Je ne suis pas entré dans cette lutte pour me faire un nom ni me faire de l’argent. Et ce qui justifie ma détermination, c’est quand des élections exclusives sont organisées, des organes de presse sont fermés, des lois scélérates qui n’arrangent que le camp au pouvoir, quand je vois le peuple qui a faim, cela me donne la determination de continuer ce combat.
D: Ne craignez-vous pas des représailles à nouveau ?
T. O: Cette question me fait rire et il y a de quoi en rire. J’ai dit depuis que le régime est là, que c’est un régime de dictature et d’autocratie. Vous savez ce que sait qu’un régime autocratique, un régime de dictature? Vous savez quoi, je ne suis pas un enfant. Et j’ai mon parcours que ça soit social, que ça soit professionnel ou politique. Et aujourd’hui, Thibaut Ogou est fier de qui il est. J’ai été arrêté déjà deux fois. Une première j’ai fait 8 mois avant d’être amnistié en 2019. Et malgré ça, je suis resté moi même. Je suis resté campé sur ma position. Donc vous pensez que je ne m’étais pas préparé ? Vous pensez que si je dénonce ce régime je n’étais pas exposé a l’arrestation, à l’assassinat, à l’exil ou autres choses. Je m’étais bien préparé psychologiquement, personnellement et même spirituellement et j’étais prêt à ce sacrifice. Vous savez, je vais vous livrer un secret aujourd’hui. J’étais prêt à aller plus loin que ça. Oui! Je m’attendais encore à beaucoup d’autres choses, mais s’il le faut pour libérer notre pays. La lutte qu’on fait n’est pas pour l’argent. La lutte qu’on fait, on ne la fait pas pour des intérêts personnels. On la fait pour libérer notre peuple, pour nos enfants. C’est important de notifier ça. Pour sauver notre démocratie. Nous sommes jeunes et chaque jeunesse a le devoir de trouver sa vocation, son combat. Son devoir serait de vendre ce combat, de le trahir ou de le faire triompher. Moi j’ai choisi de le faire triompher. C’est mon point de vue, c’est ma position et je connaissais les conséquences de mes actes. C’est pourquoi malgré les 38 mois de prison je suis resté moi-même. Je suis resté Thibaut Ogou.
D: Pouvez-vous nous parler de votre séjour carcéral. Si cela vous dit?
T. O.: (Rigole). La vie d’un détenu politique, vraiment, je n’aimerais pas revenir sur ces points sombres de ma vie ( avec une voix triste). J’appelle ça points sombres. L’objectif pour moi c’est d’évoluer. L’objectif pour moi c’est le combat. L’objectif pour moi c’est le mieux vivre du béninois, la restauration de la démocratie.
D: Avez-vous un permis de visite? Quelles sont les personnalités qui vous ont rendu visite en prison?
T. O: Nous sommes dans un régime de dictature. Moi j’ai été un détenu politique. Moi je ne connais pas le permis de visite. En prison j’ai eu la visite de mes camarades d’organisation. Pour moi c’est des personnalités. Sinon je ne sais pas si vous parlez de ministres, députés ou autres. Mais j’ai reçu beaucoup de mon organisation. J’ai eu le soutien du Comité de soutien aux détenus et exilés politiques. Je profite pour saluer madame Cécile Holonou. La visite du Maître Baparapé qui le le président de l’Odhp. J’ai eu plein de personnalités qui sont venus me rendre visite. Et ça m’a fait beaucoup plaisir.
D: Le 10 mai 2024 après que la sentence est prononcée, vous avez tenu des propos qualifiés d’injurieux à l’égard de la justice béninoise: avez-vous pensé à des conséquences qui pourraient en découler?
T. O: Je le disais depuis le début. Vous pensez que nous avons une justice au Bénin. Vous pensez que la Criet est légale? Si vous le pensez en tant que journaliste pas de problème. Mais en tant qu’acteur politique comme moi, la Criet est illégale, la Criet n’est pas une justice légale. Il s’agit d’une justice politique pour assumer les actes de dictature et d’oppression des opposants. Je suis sérieux. Je vais vous donner un secret sur ma personne. Je ne bois pas d’alcool et je ne fume pas. Donc je sais de quoi je parle. Tout ce que je dis vient de moi, tout ce que je fais vient de moi. Et je connais les conséquences. Je n’ai pas tenu des propos injurieux. C’est vous qui le dites. J’ai dit ce que je pense. Vous pensez que j’allais me taire et quitter là sans rien dire. Et venir dire dans la presse qu’il n’y a pas de justice au Bénin. Non, moi je suis un homme et j’ai été toujours un homme. J’ai dit ce que je pense à cette justice là, j’ai dit ce que je pense à ce pouvoir. Il n’y a pas de justice au Bénin et c’est ce que la majorité des béninois pensent. Mes propos ne sont pas injurieux. Je les qualifie de juste vérité et de ce que je pense.
D: Pendant votre séjour dans la prison, vous avez reçu des soutiens venant de divers horizons. Le plus connu est le grand chroniqueur de l’opposition Frère Hounvi. Parlez-nous de votre amitié?
T. O: Pour la presse et pour l’histoire, je voudrais préciser que sur mon mandat de dépôt, il est marqué la prison civile de Misserété, mais j’ai été détenu à la prison civile de Cotonou.
S’agissant du chroniqueur Frère Hounvi, nos relations dépassent une amitié, c’est une fraternité. La fraternité, c’est dire que nous partageons quelque chose ensemble. Quelque chose de plus fort. C’est la conviction, c’est le combat, la détermination. C’est le rêve de voir un Bénin meilleur. Un Bénin démocratique. Le retour des acquis démocratiques. Mais je vais vous dire quelque chose, je n’ai jamais échangé de message avec Frère Hounvi. Lorsque vous faites un bon combat, c’est ce qui se passe. Dans ses chroniques il appelle mon nom, c’est la preuve du bon combat que nous menons. Et c’est ce que je demande à la jeunesse aujourd’hui. Le vrai combat. Le combat de conviction. C’est pour ce vrai combat que j’apprécie Frère Hounvi. Il fait le bon combat. Il n’est pas comme certains journalistes quand tu ne leur envoies pas de l’argent, ne te font pas de publications. Or le journalisme est une vocation. Nous on produit de l’information et il y a des journalistes qui ne veulent pas relayer soient ils sont à la solde du pouvoir ou font du journalisme pour manger. C’est pourquoi je félicite Frère Hounvi et je lui demande de ne pas changer ses convictions. Il est une icône. Moi je suis un héros, mais lui, il est une icône.
D: Votre appréciation de l’actuel régime a-t-elle changé après votre séjour carcéral de 38 mois ?
T. O: Le 7 juillet dernier, soit un mois jour pour jour après ma sortie de prison, mon organisation Alliance conclave pour la jeunesse et Les Amis de Thibaut Ogou ont organisé une cérémonie pour me souhaiter la bienvenue. Dans mon discours, je l’ai dit. Ma conviction n’a pas changé. Mon regard envers ce régime est le même. Je peux faire 10 ans, 20 ans de prison ou même être assaisonné. Ce que je dis d’autres viendront le dire, car c’est vrai. Tout ce que je demande à ce régime, c’est la liberté d’expression, la liberté de presse, la démocratie, le mieux vivre des béninois. Aujourd’hui le seuil de la pauvreté est plus élevé. Et ils sont conscients de ça. Le Bénin est devenu une prison à ciel ouvert. Nous ne pouvons pas tolérer cela. Le retour de la démocratie. Si au Bénin il n’avait pas la démocratie, monsieur Patrice Talon ne pouvait pas devenir président de la République. Je ne peux pas accepter que mes enfants vivent dans ce Bénin là. Ils me demanderont tu avais fait quoi en son temps ? Je ne laisserai pas la génération qui vient derrière moi voir ce Bénin là. Tant qu’il aura des détenus politiques au Bénin, des exilés politiques, tant qu’il aura la pauvreté au Bénin, je dirai ce que je dis. Ma conviction ne changera pas tant que le régime ne change pas de comportement et écouter les béninois.
D: Quel avenir politique imaginez-vous pour le Bénin suite à tout ce qui s’est passé de 2016 à nos ?
T. O: Le Bénin connaît les pires moments de sont histoire. Il vrai, le Bénin a connu la dictature sous Kérékou. Revivre ça aujourd’hui, c’est une page sombre pour notre pays. C’est une page sombre pour notre démocratie. C’est un recule pour notre démocratie. Je veux un Bénin qui incarne nos valeurs.
D: Vous incarnez aujourd’hui une jeunesse audacieuse et combattante. Quel message à l’endroit des jeunes béninois qui souffrent, mais ne se decident vraiment pas à rejoindre le mouvement?
T. O: Quand j’ai commencé, on m’a dit qu’un jeune ne fait pas l’opposition. Mais l’opposition que moi je fais, c’est la manière de voir les choses. Pourquoi je suis entré dans ce combat, je suis sensible aux cris du pauvre, à la détresse de l’opprimé. La jeunesse doit mener le vrai combat. Pas le combat de l’argent. J’ai commencé ce combat avec des jeunes comme moi, mais chemin faisant le discours a changé. C’est le cas de Korogoné. II a fait la prison comme. Nous avions commencé ensemble. Aujourd’hui, le Mpl qu’il a créé est à quel niveau ? C’est de ça qu’il s’agit. Ne vendons pas nos convictions. Menons le bon combat en tant jeune. En 2026, je n’aurai pas 40 ans. Donc je rêve d’un Bénin meilleur.
D: Avez-vous un appel à l’endroit des béninois, de la classe politique en général et de l’opposition en particulier et singulièrement à l’endroit du président Patrice Talon ?
T. O: Si vous rentrez dans les rues aujourd’hui, vous allez comprendre que l’opposition ce n’est pas une classe politique. L’opposition aujourd’hui, c’est le peuple. Personne n’est d’accord avec ce qu’il fait. Personne n’est d’accord avec sa gouvernance. Tous ceux qui sont proches du pouvoir même sont convaincus de ça. Je ne sais pas s’ils lui disent la vérité. Puisqu’il a mis en place une gouvernance autocratique et de dictature, tout le monde a peur.
L’opposition doit se fixer des objectifs et connaître ses ambitions. Car le régime en place fonctionne avec la ruse et l’argent. Il y a certains qui sont prêts à aller aux élections avec ce code même au sein des Démocrates. Ce code qui renforce le parrainage que nous avons combattu. J’ai commencé par combattre le parrainage en créant le mouvement « Non au parrainage » si vous vous en rappelez. Cette opposition ne combat vraiment pas ce qu’il faut combattre. C’est un peu comme du dilatoire. On ne peut pas espérer gagner une élection avec ce code. Je ne suis pas d’accord que l’opposition joue le jeu du pouvoir.
Quant au président Patrice Talon, j’ai été clair avec lui. Lors de ma dernière sortie, il ne craint pas l’éthique. En 2016, il a promis faire un seul mandat de cinq ans. En 2021, pour lui avoir rappelé que cinq ans c’est cinq ans, il a mis des gens en prison dont moi. Dans cette situation, il va aux élections seul et dit l’avoir remportée. Nous voyons venir le même schéma en 2026. Et ils ont commencé la communication autour. J’en veux pour preuve les déclarations de la vice-présidente Talata et le porte-parole du gouvernement qui dit que le président est candidat à la préservation de ses acquis. Si le président Talon aime ce pays, qu’il écoute sa conscience et qu’il fasse bien les choses comme cela se doit et laisser le pays tel qu’il était lorsqu’il prenait le pouvoir en 2016 des mains du président Boni Yayi. Je lui demande de libérer les détenus politiques, de faire revenir au pays les exilés pour qu’ensemble nous puissions developper le pays. Je lui demande d’appeler à une assise nationale pour que nous puissions refonder les bases fondamentales de ce pays. Je ne suis pas son conseiller. Il nous prend comme ses ennemis, or nous nous sommes des patriotes. Nous voulons que les choses se passent bien pour le pays. Je réitère mon appel à une assise nationale.
Je vous remercie !
Réalisation: Fortuné Assogba